De juin à septembre 2019, un fonds de bibliothèque a été constitué, permettant de construire le marathon lecture proposé toute la journée lors de l’évènement UTOPIE : POINT ZÉRO , le 28 septembre 2019 à Land Rohan. Un marathon lecture, parce que, sans aucun doute, une « transition » réussie nécessite la construction d’une nouvelle culture. La culture, vous savez ? Non, non, pas dans le sens où certains philosophes nous en parlent, en l’opposant à la Nature. Ou comme les institutions nous la résument en pensant monuments, établissements, offres de service, production et diffusion culturelle. Non, la culture comme ce que pourraient en dire des sociologues ou des anthropologues ; ce je ne sais quoi qui est commun à un groupe d’individus, ce qui les rapproche, le réservoir de représentations, de symboles, d’affects, d’implicites et de croyances, dans lequel ils peuvent à l’envie partager, échanger, ….vivre, peut-être. Le parti pris du marathon était que cette construction d’une nouvelle culture passait notamment par le fait de nous mettre en contact avec des textes tout à la fois poétiques, philosophiques et scientifiques. Par le fait de puiser dans ce commun pour y trouver certains mots permettant d’énoncer les impensés de notre civilisation, de mêler intelligence du cœur et de l’esprit, d’appréhender, inspirés, d’un seul regard passé, présent et futur. On entendit, par la voix de la comédienne Isabelle Astier, Gaston Berger nous inciter à voir loin, large, à analyser en profondeur, à prendre des risques, à penser à l’Homme, et Michel Foucault nous parler d’espaces autres, d’hétérotopies. L’écrivaine et éditrice Sandrine Roudaut prêta sa voix à Alain Damasio nous parlant des furtifs, à Cynthia Fleury en recherche du courage, à Gauthier Chapelle et Pablo Servigne évoquant une autre loi de la jungle : l’entraide. Des participants nous lurent le manifeste convialiste ou des textes du Comité Invisible : « Essayer. Rater. Essayer encore. Rater mieux….Vaincre peut-être. En tous cas, surmonter. Aller son chemin. Vivre, donc. Maintenant. » On entendit, dans le cadre des cinq séquences de lecture qui rythmaient la journée, parler de temps et d’avenir, de faire connaissances et de communs, de manger, de systèmes, de convivialisme, d’écoféminisme, et, avec Bruno Latour et Aimé Césaire, d’atterrir et de retour au pays natal. Les participants, de tous âges, de tous milieux, pour certains, lecteurs aguerris, pour d’autres, non, étaient, suite à ces lectures sensibles, invités à construire une partie du mur des mots, comme autant de grappins vers des futurs souhaitables. Exercice difficile, quand on sait que les mots, loin d’être maniés comme des biens communs lentement polis par de patients forgerons pour qu’ils nous aident à nous comprendre, à comprendre, à vivre et à agir ensemble, sont souvent exploités à des fins marketing ou rhétorique, comme peuvent l’être par exemple les concepts d’innovation, de transformation, ou de transition. Par l’étrange alchimie de l’écoute des textes lus au cours de la journée, et de ce que les participants ont vu, ressenti et éprouvé tout au long de l’évènement, ce sont des mots plutôt inattendus que les participants ont fixés sur le mur des mots de demain, comme par exemple ceux de beauté, de cœur et de désir.
Bien sûr, nous voyons sur ce mur des notions abordées au cours de la journée, comme celles de coopération, de « communs », de récits d’entraide, de sens ou de fiction. Autant de notions que l’on retrouve dans les démarches instituées de transition. Nous trouvons aussi sur ce mur, un ensemble de principes qu’ils soient éthiques, politiques ou méthodologiques, comme celui d’honnêteté, de résilience et de variété (du vivant et des êtres), de réponse aux besoins des humains, de biomimétisme. Mais ce mur des mots nous parle aussi de nouvelles manières de connaître : ainsi de l’écoute de la nature, de connaissance par le corps. Il nous invite à faire preuve, ici et maintenant, de radicalité. Questionné sur le sens de ce mot, le participant qui l’avait proposé, l’a résumé comme exprimant notre nature végétale, notre ancrage terrien. Enfin, de manière assez inhabituelle dans les débats consacrés aux transitions, ce mur des mots nous invite à construire une culture à forte dose esthétique et sensible, une culture faite d’harmonie, de beauté, de rencontres poétiques, de désir. Au fond, le mur des mots construit par les participants à ce marathon semble nous chuchoter que l’impensé de notre civilisation, c’est peut-être quelque chose que l’on pourrait appeler l’Humain, si tant est qu’il soit appréhendé dans toutes ses capacités, comme être vivant parmi les vivants, en dialogue avec les autres espèces. Inventer des mots, ou peut-être des phrases, qui parlent simultanément au corps, au cœur et à l’esprit ? Des mots et des phrases qui parlent à tout le vivant ? Chiche. Repartons en plongée, direction les poètes.
Le marathon lecture a été co-conçu par Julia Passot et François Rousseau animé par François Rousseau lu par Isabelle Astier, Sandrine Roudaut, Cécile Choblet et des participant.e.s
© crédits photo : Delphine Favre (Deldeline)