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Julia Passot

Conseil de lecture turbinesque #4 : Faut-il manger les animaux?


​​« L’agriculture n’est pas seulement façonnée par des choix alimentaires, elle l’est aussi par des choix politiques."

Le titre est choc, j’en conviens, et provoque tout de suite un certain malaise. On ne parle pas de viande ici, mais d’animaux. La lecture l’est tout autant, mais pas dans le sens que j’avais imaginé, avec à la clef une conversion immédiate au mieux au véganisme, a minima au végétarisme… Tout n’est pas si simple. En effet, c’est la force de cet essai, qui certes ne vous fera pas passer les moments de lecture les plus délicieux de votre vie (c’est un euphémisme), mais qui questionne profondément notre rapport au monde animal et à la hiérarchie du vivant. Pas de manichéisme, car l’auteur aborde tous les points de vue. Partant de son rapport intime et familial à la consommation de viande, il nous emmène à travers l’histoire des rapports entre les animaux et les hommes, de la distinction entre les animaux sauvages, d’élevage et de compagnie, du rapport culturel variable à ces distinctions, des découvertes scientifiques sur l’intelligence et les émotions des animaux, du développement de l’élevage industriel et en parallèle, de santé publique. Autant vous dire que c’est une claque ! Ce livre m’a bouleversé à plus d’un titre car non seulement il révèle ce que nous savions déjà (la souffrance des animaux, la dégradation de la santé et de l’environnement, etc.) mais il pose surtout la question de notre capacité à réagir. « À quel moment devrais-je afficher poliment mon désaccord, à quel moment devrais-je, au nom de valeurs plus profondes, prendre position et appeler les autres à faire de même ? À partir de quand des faits communément admis peuvent-ils inciter des gens raisonnables à formuler leur désaccord, et à partir de quand exigent-ils de nous tous que nous agissions ? » En refermant ce livre, j’ai acquis certaines certitudes, notamment qu’il devient impératif de changer de modèle alimentaire ; mais je n’ai toujours pas répondu à la question principale : « faut-il manger des animaux ? »… Pourquoi ?

Peut-être parce que c’est à la fois une question éthique, mais aussi intime, culturelle et politique : « Nos décisions quant à la nourriture sont compliquées par le fait que nous ne mangeons pas seuls. Il existe un lien primordial entre la nourriture, la famille et la mémoire. Nous ne sommes pas simplement des animaux qui mangent, nous sommes des animaux commensaux. Changer de mode d’alimentation, laisser des saveurs s’estomper dans la mémoire crée une sorte de vide culturel, un oubli. Mais peut-être cet oubli vaut-il la peine d’être vécu - voire cultivé. Se souvenir d’une chose, c’est en laisser une autre disparaître de la mémoire. La question n’est donc pas de savoir si nous oublions, mais plutôt ce que, ou qui, nous oublions - non de savoir si nos régimes changent, mais comment. » Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer, publié aux éditions de l’Olivier, collection Points (2009)

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