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Effondrement de la biodiversité : bientôt nous entrerons dans la forêt pour de bon


À l'occasion de 7e réunion mondiale de la biodiversité à Paris avec l'IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) j'ai assisté à un événement passionnant organisé à la Gaîté lyrique le samedi 26 avril. J'avais envie de partager avec vous quelques pistes de pensées sur ce sujet dont on parle bien peu par rapport au climat. Car, qui connaît l'IPBES ? Qui sait que cet organisme international est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat : un rassemblement mondial des meilleurs experts qui dressent ensemble et de manière quasi unanime le constat d'un effondrement spectaculaire de la biodiversité, à une vitesse 1000 fois supérieure à la "normale", et cela à cause des activités humaines. Si l'accord de Paris a largement médiatisé et mobilisé autour de la question climatique, il s'agit aujourd'hui de montrer à quel point la question de la biodiversité est également cruciale et mérite un engagement sans précédent.

Donc, lorsqu'on parle de biodiversité, on parle surtout de son effondrement, de ces chiffres affolants lorsqu'on les rapporte à sa propre existence : depuis que je suis née (il y a environ 30 ans), 30% des espèces animales sont en danger d'extinction ou ont disparu... Je ne vous referai pas ici tous les chiffres accablant d'une biodiversité qui se meure, d'une bio-diversité qui n'en est plus une. En plus j'avais pour objectif de ne pas vous déprimer dès le premier paragraphe. C'est raté...

Mais au fond, pourquoi nous saisissons si mal l'importance du phénomène ? Pourquoi, en tant qu'urbaine-occidentale-représentante de la culture je ressens si peu ces effets sur ma vie quotidienne ?

Dans notre civilisation occidentale, on parle toujours de la nature comme d'un sujet externe, comme d'un objet pour lequel il faudrait créer des droits protecteurs. Pour cela, on invente la notion de "service écologique", d'"écocide", on dote la Pachamama ou le fleuve Amazonie d'une personnalité juridique pour tenter d'endiguer ce qui serait inévitable : leur destruction par les humains.

La réponse à cette extinction de masse par la création de sanctuaire de protection ne fait que renforcer une approche dominante du vivant non-humain.

De plus, considérer la biodiversité comme une problématique seulement "naturelle" masque les interactions multiples qui sont d'abord culturelles, sociales, sociétales et économiques.

Il ne suffit pas de vouloir éteindre le feu de l'extinction de masse, mais de réinterroger nos modèles politiques et économiques qui crée un monde mortifère où le sauvage disparaît, où 90% de la population animale est issue d'élevages (dont une majorité de poulets!).

"La nature n'existe pas." nous dit Philippe Descola.

Autrement dit par Damien Deville : "La nature même de la transition écologique c’est de dépasser la dualité entre nature et culture, c’est de reconnecter les humains à leur territoire, les humains aux non-humains."

Dans les cultures animistes ou totémistes (Inde, Asie, Afrique, Amérique latine), il n'y a pas de mot pour distinguer la nature : les hommes, les végétaux, les animaux, les minéraux font partie d'un même système d'échanges sociaux, où l'on dialogue de sujet à sujet.

Car lorsqu'on parle de biodiversité, de nature on se figure mal à quel point nous sommes enchassés dans un système de dépendance mutuelle.

À travers l'histoire, on a observé qu'à chaque fois qu'une civilisation humaine disparaissait, c'est tout un ensemble de savoirs, mais aussi d'espèces végétales et animales qui se perdait. Les peuples indiens d'Amérique du sud en mourant en masse au XVIe siècle ont emporté avec eux de précieux savoir et usages sur les plantes médicinales telles que la coca, le quinquina, etc.

Si on retourne cette idée : en détruisant les animaux, minéraux et végétaux qui nous entourent, c'est nous même que nous éliminons aussi.

Alors, pour mener cette bataille, plusieurs outils s'offrent à nous, à commencer par notre cœur et notre intelligence (si si, nous en sommes tous dotés, normalement ;-)

Ensuite, le droit et ses failles, les textes au-dessus des lois : les chartes internationales (droits de l'homme, biodiversité, etc.), tous les projets, petites ou grandes utopies qui tentent de reconnecter les paysages, la vie sauvage, la vie humaine... Entrons dans la forêt !

 

Une petite interview d'Alessandro Pignocchi à propos des oiseaux, des indiens Jivaros, de magie, d'animisme et surtout d'humour :

À propos de La journée de la biodiversité à la Gaîté lyrique : retrouvez le programme et bientôt les enregistrements

Je vous invite à vous pencher sur les travaux des intervenants :​​

- Chimère Diaw : économiste et anthropologue, il a contribué à l'émergence de l'IPBES, où il est aujourd'hui en charge de la coordination du rapport d'évaluation pour l'Afrique. Il est le Directeur général de l'African Model Forests Network, une initiative panafricaine de "forêts modèles".

 - Isabelle Stengers : philosophe, spécialiste de la philosophie des sciences, elle s’intéresse également aux voies politiques et économiques alternatives. Son intervention questionne l'idée de protection de la biodiversité.

 - Sarah Vanuxem : maîtresse de conférences en droit privé à l'Université de Nice Sophia Antipolis. Dans La propriété de la terre. Contre la doctrine dominante (Wildproject, 2018), elle interroge la conception moderne de la propriété et la fait converger avec les perspectives écoféministes et indigènes les plus radicales. Elle développe une proposition selon laquelle la "faculté à habiter" serait une propriété. - Alessandro Pignocchi : ancien chercheur en sciences cognitives reconverti dans la bande dessinée, il explore la relativité de notre concept de "Nature". Sa nouvelle BD La Recomposition des mondes raconte la révolution de notre rapport au monde que le territoire de la Zad de Notre-dame-des-Landes préfigure.

 Une BD extrêmement drôle qui renverse les rapports de force et fait dialoguer Trump et Angela Merkel au coin d'un feu de camp, à propos de chamanisme, ou des pinsons qui viennent de faire brûler l'Élysée.

 

* le titre de cet article est issu de l'excellent roman "dysto-utopique" (chacun se fera son avis) Dans la forêt de Jean Hegland : quand la civilisation s'effondre, deux jeunes femmes tentent de survivre dans la forêt.

© crédit illustration : issue de la BD La Recomposition des mondes d'Alessandro Pignocchi (2019, Éditions Seuil, collection Anthropocène)

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