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Pourquoi encore écrire sur l’économie ?


Une jeune femme, jolie et intelligente vous invite à rédiger une contribution à connotation économique pour son blog. En tant qu’homme normalement constitué, vous ressentez un certain élan afin de faire plaisir à votre interlocutrice et ceci d’autant plus que vous avez les compétences techniques pour réaliser cet écrit. Et pourtant vous constatez que votre élan initial est parasité par une non-envie. Une courte introspection vous fait comprendre le comment du pourquoi.

En effet, après quelques décennies de lecture de littérature économique ainsi que de travail pédagogique visant à retranscrire cette lecture en contenus de conférence-débats, d’émissions radiophoniques, de cours d’économie et de livres, vous ressentez une certaine lassitude. Pourquoi ?

Quand vous êtes animé par une certaine ambition existentielle de justice socio-économique et de protection de votre environnement naturel et vous devez quotidiennement constater que l’injustice, la violence et la destruction massive avancent à grands pas, la tristesse, le sentiment d’impuissance et finalement la lassitude s’installent en vous.

Cependant la jeune femme, jolie et intelligente a exprimé quelques unes de ses convictions personnelles qui vous ont agréablement surpris et même étonné. Ainsi elle pense par exemple que l’être humain devrait arriver à faire communiquer ses sentiments avec sa raison. Elle pense également que l’approche alternative au capitalisme devrait être radicale. Radicale dans le sens de prendre les problèmes à la racine. Ces convictions sont aussi les vôtres. Et ce sont cette verbalisation authentique ainsi que cette humanité partagée qui commencent à déchirer le voile de votre lassitude.

Par ailleurs vous savez que l’arme intellectuelle principale du capitalisme financier mondialisé consiste à dénigrer, ridiculiser, neutraliser, bref exclure du débat public toute pensée contraire à ses dogmes. Par conséquent vous n’avez pas envie de neutraliser vous-même par votre attitude quelque peu défaitiste l’élan constructeur et biophile d’une citoyenne éprise de l’idée de participer à la transformation de la société.

Et finalement vous vous mettez à songer à cette belle utopie réaliste et réalisable que tous les porteurs de projets alternatifs pourraient construire ensemble, s’ils fédéraient leurs approches différentes dans un projet de société commun au lieu de faire de leur différence un prétexte de scissions.

Et sans avoir la prétention d’épuiser le sujet de l’économie dans une contribution limitée à 5 000 caractères dont vous avez déjà utilisé 2 604, vous consacrerez les 2 396 restants à une approche légèrement différente de ce thème.

Des auteurs intelligents, cultivés, sincères et humains ont écrit des ouvrages très pédagogiques afin de nous faire comprendre les mécanismes et les enjeux de l’économie.

Ainsi par exemple pour saisir les fondamentaux de cette « science », la lecture des ouvrages de Jean Vassileff paraît judicieuse. Pour comprendre l’économie américaine et son colonialisme globalisé, les livres de John Kenneth Galbraith sont excellents. Enfin, pour anticiper les effets néfastes de l’économie mondialisé sous le règne de ce que l’on a baptisé l’économie de marché, à savoir le capitalisme, l’étude des écrits de Jean Ziegler est à conseiller.

Après quelques milliers d’heures de lecture vous donnerez finalement raison à Galbraith quand il nous apprend dans son dernier livre intitulé Les mensonges de l’économie que « Ce qui arrange chacun, c’est ce qui sert ou ne gène pas les intérêts économiques, politiques et sociaux dominants. »

Ainsi il exprime sur le plan sociologique ce que l’éthologie (la science des comportements des animaux sauvages) nous enseigne sur le plan de l’organisation des sociétés animalières avec son principe d’évitement de l’ennemi. Autrement dit l’individu évite la confrontation et surtout celle avec plus fort que lui.

Maintenant l’être humain est un animal doté de raison. Et quelque part il supporte mal sa soumission à un principe aussi basique que la loi du plus fort. Par conséquent il lui faut des rationalisations, c’est à dire ces procédés intellectuels consistant à donner une justification raisonnée à ses motivations irrationnelles. Dans ce contexte l’être humain est par exemple prêt à accepter une ineptie comme celle de la « théorie du ruissellement » pourvu que cette dernière lui fournisse une justification « scientifique » (hic) à la démesure maladive d’une certaine catégorie de personnes.

En conséquence nous pouvons affirmer qu’une grande partie de la littérature économique a comme objectif, non d’expliquer l’économie, mais de produire de la sémantique qui protège les « intérêts économiques, politiques et sociaux dominants. »

Finalement une fois bien échauffé le crédit de nombre de caractères est déjà épuisé. Game over. Alors comment continuer ? Peut-être avec l’organisation d’une journée de formation et d'échanges sur :

- les fondements de l’économie ou

- l’économie et la peur ou

- l’économie et l’économisme ou

- le travail, l’emploi, la production et la démocratie ou

- …

Si cela vous intéresse.

Au plaisir d’avoir de vos nouvelles, sincèrement.

© crédit photo lapin : Axel Kottalthe

 

Frank Hermann, pédagogue, formateur-consultant, a été membre de l'Institut de Pédagogie du Projet (Nantes) fondé par Jean Vassileff dont il a été un proche collaborateur. Il approfondit, dans l'ouvrage Abécédaire de l'autonomie, les réflexions entreprises par ce dernier en utilisant dans ses recherches les écrits notamment d'Eugen Drewermann, de Karl Jaspers… Il est également l'auteur de L'autonomie, clé du changement (Chronique sociale).

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