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Convention Citoyenne pour le Climat, la démocratie dont vous êtes le héros

Et si vous participiez à une assemblée de citoyens pour sauver le climat en moins de 9 mois ? Seriez-vous prêt à jouer le jeu de la démocratie délibérative avec d’autres citoyens tirés au sort, ni professionnels de la politique, ni experts du sujet ? Retour sur un serious game démocratique grandeur nature !

Objet Démocratique Non Identifié En janvier 2019, le gouvernement lance, en urgence et avec d’énormes moyens de communication, le Grand Débat National, en réponse au mouvement des Gilets Jaunes. Sur la table, 4 grands thèmes : transition écologique, fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté, organisation de l’Etat et des services publics. Et la désagréable sensation que les dés sont pipés. QCM grossier, questions orientées, et des résultats dont on n’entendra pas parler. Quid des cahiers de doléances mis à disposition dans les mairies, quid des données issues des réunions publiques ? Un pétard mouillé. Chez les militants du climat, comme chez les Gilets jaunes, on s’impatiente. La revendication d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), aux contours mouvants, n’aboutit à rien et le débat s’enlise. Un collectif informel, les Gilets citoyens, propose d’imaginer une assemblée de citoyens tirés au sort pour faire des propositions qui seront soumises au référendum. Après d’âpres négociations avec Emmanuel Macron sur les missions et le périmètre d’action, la Convention Citoyenne pour le Climat est née.¹

Aux premières heures, on s’interroge sur cet Objet Démocratique Non Identifié, soupçonné d’être téléguidé par le pouvoir en place. On se questionne : quelle est cette Convention qui court-circuite la société civile ? Que vont bien pouvoir apporter 150 citoyens qui n’y connaissent rien, quand des militants et des scientifiques tentent depuis plus de 60 ans de faire entendre leur voix ? Chez les élus, pareillement, on grince des dents : quelle est leur légitimité, eux qui n’ont pas été élus, qui ne sont les représentants de personne ?

Comme l’explique Loïc Blondiaux, membre du comité de gouvernance de la Convention Citoyenne pour le Climat et professeur de sciences politiques, il ne s’agit pas d’opposer ou de faire une hiérarchie entre les différentes légitimités mais plutôt une combinaison, une addition : celle de la société civile (ONG, associations), des représentants élus, des scientifiques… et celle des citoyens.

Démocratiser la démocratie : un jeu de hasard ?

Pendant 9 mois, entre octobre 2019 et juin 2020, 150 citoyens tirés au sort siègent dans l’hémicycle du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), institution constitutionnellement indépendante, à Paris. Au cours des 7 sessions, ils passent du décryptage du changement climatique à la rédaction de 150 mesures permettant de réduire d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans une logique de justice sociale.

Pour constituer l’assemblée et “démocratiser la démocratie”, c’est le tirage au sort qui est choisi, afin que chacun ait une chance de participer. Car c’est précisément l’ambition de la Convention : rassembler des non-spécialistes du climat et des non-professionnels de la politique, qui n’ont pas d’intérêt a priori (particuliers, de renommée ou de réélection), et à qui on ne peut pas reprocher d’être déconnectés du réel. « Le tirage au sort permet de représenter le vécu des gens », explique Mathilde Imer, membre du comité de gouvernance et de Démocratie Ouverte. Car représentation ne fait pas représentativité ! Les 150 ne sont pas des représentants désignés par un vote, comme les maires. Pourtant, ils représentent une France miniature, respectant proportionnellement la société française en termes de genre, niveau de diplôme, catégories socio-professionnelles, âge, origine géographique. Pour la première fois, des gens d’ordinaire invisibilisés, trouvent leur place dans une institution, aussi expérimentale soit-elle.

Pour tous les chatouilleux de la démocratie (dont je suis), l’expérience s’annonce exaltante. La crème de la crème de la participation citoyenne et de la délibération collective a participé à l’élaboration de ce dispositif, aux airs de casse-tête chinois. Un comité de gouvernance et des Garants (dont Cyril Dion) assurent l’indépendance et le bon fonctionnement de la Convention ; le groupe d’appui et les Fact-Checkers apportent et vérifient contenus et données ; le comité légistique retranscrit en jargon juridique les propositions des 150, tandis que les citoyens décident des intervenants qu’ils souhaitent interroger. Tout est fait pour que l’expérimentation démocratique soit indépendante, inclusive et transparente. Les débats en plénière sont filmés en direct, accessibles à tous en ligne, sous l’œil attentif d’une armada de sociologues et autres chercheurs en sciences humaines et sociales chargés d’observer cette expérience inédite.


Dans l’arène citoyenne

Première session, face aux climatologues de renom comme Valérie Masson-Delmotte, c’est l’électrochoc. L’équivalent des 3 derniers rapports du GIEC dans la figure en un week-end ! Pendant 9 mois, dans l’hémicycle du CESE à Paris, ça s’empoigne (un peu), ça se questionne (beaucoup) et ça tente de trouver des solutions ! Cinq groupes de travail s’élaborent à partir des pratiques quotidiennes des gens, afin d’en dégager des solutions pour faire évoluer les modes de vie : se déplacer, consommer, se loger, produire/travailler, se nourrir. Et pour « la plèbe » qui compose l’assemblée (au sens latin, gens du peuple, en opposition aux premiers de cordée), la conviction absolue qu’il faut articuler les questions environnementales et sociales.

En quelques semaines, il semble que le processus d’appropriation et la montée en compétence opèrent chez ceux qui n’y connaissaient rien. Les 150 ont montré une capacité à s’emparer collectivement des enjeux complexes, à dépasser des intérêts particuliers ou de court-terme, à arbitrer dans des choix touffus et à produire des mesures concrètes… “Ces citoyens ont démontré qu’ils étaient capables de trouver des consensus sur une question extraordinairement compliquée et conflictuelle qu’est le changement climatique.”, analyse Loïc Blondiaux. Un empowerment (ou encapacitation en français) qui tend à rebattre les cartes de la conception politique traditionnelle, où le citoyen lambda n’est pas considéré comme étant capable de prendre des décisions pour l’intérêt général. À Sieyès, qui expliquait en 1789, en rejetant le système démocratique au profit d'un gouvernement représentatif : “la très-grande pluralité de nos concitoyens n'a ni assez d'instruction, ni assez de loisir pour vouloir s'occuper directement des lois qui doivent gouverner la France”, pourrait-on rétorquer que l’expérimentation montre le contraire ? Qu’un système qui garantit l’appropriation d’une problématique en profondeur et sur un temps long, par la délibération et l’intelligence collective, avec un dédommagement matériel, peut permettre aux citoyens de prendre pleinement part aux décisions de l’Etat ?


Sans filtre ou à la carte ?

Les 150 propositions élaborées par la Convention Citoyenne pour le Climat couvrent un large spectre. Parmi elles : rendre obligatoire la rénovation thermique des bâtiments, baisser la TVA sur les billets de train pour encourager ce mode de transport, réduire les panneaux publicitaires, interdire les réclames pour des produits très émetteurs comme les SUV, ou encore mettre en place des chèques alimentaires pour des produits bio à destination des plus démunis.

Suite au vote de l’assemblée au grand complet, au cours de la dernière session : 149 sont adoptées largement ; une seule sera finalement sacrifiée, celle proposant de passer à la semaine de 28H de travail.


Les 149 propositions restantes sont rendues publiques et transmises au chef de l’Etat. Hasard du calendrier, les 150 citoyens sont reçus à l’Elysée au lendemain du second tour des municipales, qui a fait émerger une large vague verte sur le territoire. Si le Président s’était engagé à ce que les recommandations formulées par la Convention soient soumises sans filtre au Parlement, au référendum ou à une application réglementaire, Emmanuel Macron n’en a pas moins mis un joker sur 3 des 149 mesures rendues. Pourtant, comme le signale l’un des citoyens tirés au sort : « Ces mesures font système, ce n’est pas à la carte ». Au nombre des recalées, on trouve la taxation de 4% sur les dividendes des entreprises supérieurs à 10 millions d’euros par an (de peur de faire fuire les sacro-saints investisseurs) et la limitation de la vitesse sur l’autoroute à 110km/h (jugée potentiellement impopulaire et préjudiciable pour les territoires enclavés). Quant à la troisième, elle prévoyait d’ajouter l’alinéa suivant dans le préambule de la Constitution : “La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité". Une mesure ajournée par le Président, considérant qu’"il est essentiel de ne pas mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains". Ironique si on replace l'humain dans le contexte global du Vivant…

La balle est désormais dans le camp de l'exécutif. Lors du dernier Conseil de défense écologique, le 27 juillet dernier, Barbara Pompili, nouvelle Ministre de la Transition écologique, a annoncé plusieurs mesures issues de la Convention citoyenne, relatives à la rénovation thermique des bâtiments, à l'artificialisation des terres et à la préservation des zones naturelles. Un projet de loi est prévu pour début 2021. L'éxecutif est face à un choix : être beau joueur et respecter l’engagement donné à la Convention, ou détricoter les propositions et jouer la montre jusqu'à 2022 (au risque de marquer un manque d’ambition sur les questions écologiques). Gageons que la Convention et la nation jugeront les résultats, et non la communication. Les joueurs de poker le savent : au bluff, on ne gagne pas à chaque fois.


Game over ou try again ?

La partie est cependant loin d’être finie (et gagnée) pour le climat. En cas de référendum, le changement d’échelle est nécessaire : au-delà des 150 tirés au sort, c’est toute la nation (67 millions de Français) qu’il faut emmener vers cette même compréhension des enjeux climatiques.

Au-delà de l’enjeu (vital) du climat, l’expérimentation démocratique que constitue la Convention Citoyenne a apporté une bouffée d’air frais dans un univers institutionnel à bout de souffle. Ainsi peut-on espérer que cette assemblée des temps modernes soit une pré-figuration de nouvelles institutions à venir ! Héritier de la Révolution Française, mis à jour pour la dernière fois en 1958 avec la Ve République, notre système démocratique doit se mettre à la page pour mieux répondre aux défis présents. En 2017, au sein de la Fondation pour la Nature et l’Homme, un collectif pluridisciplinaire, constitué entre autre de Loïc Blondiaux et Dominique Bourg, publie Inventer la démocratie du XXIe siècle. À partir d’une phrase d’Emmanuel Macron, disant vouloir instaurer une Chambre du Futur à la place du CESE, ils conceptualisent une Assemblée Citoyenne du Futur, capable de penser le long terme et de donner une voix aux deux grands absents des institutions d'aujourd’hui : les générations futures et le Vivant. Affaire à suivre.


 

- ¹ Comment tout a commencé, d'après Reporterre

- Interview de Loïc Blondiaux, sur France Inter :

- La session 1 (et toutes les suivantes) en vidéo en ligne sur le site de la Convention citoyenne pour le climat :

- Pour ceux qui ont du temps pendant les grandes vacances : le rapport final de la CCC (460 pages quand même) :

- Inventer la démocratie du XXIe siècle, l’Assemblée citoyenne du futur, éd. Les Liens qui libèrent, 2017 :




Photos ©DR


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